Atlas Azawan

L'esprit de l'Aïta

Atlas Azawan - AitaCet art résulte de la fusion entre l’art arabe rapporté par les conquêtes des tribus d’Orient et la tradition amazighe, mais il est difficile de dater avec précision la naissance de l’aïta. Elle est une « q’cida » (poésie) d’essence bédouine, si l’on se réfère à la langue qu’elle véhicule, que l’on peut, dans certains cas, rattacher à des tribus marocaines d’origine arabe, notamment les Banû Hilal ou les Banû Souleim, ou celles qui se sont établies au Maroc au tout début de l’époque de la Dynastie des Almohades, au Xllème siècle, et se sont fondues dans le substrat amazigh.

L’ « aïta » est un art pluriel dans le sens où il existe plusieurs genres qui se déclinent en fonction des régions dans lesquelles ils sont apparus. Ce n’est pas un art qui s’étend sur tout le territoire marocain car l’aïta n’est pas présente dans toutes les régions. Chaque variante se nourrit des caractéristiques de la région : les traditions sociales, les pratiques culturelles, les spécificités linguistiques et l’environnement naturel. Autant de composantes qui façonnent les différentes versions. Il n’en reste pas moins que les régions de Abda, Chaouia et Doukkala constituent le cœur de cette forme de poésie orale où l’aïta a trouvé un terrain fertile et favorable.

Moussem Moulay Abdellah

Le Moussem Moulay Abdellah a lieu chaque année dans la région d’El Jadida, un des grands fiefs de l’aïta. Il est le rendez-vous attendu et incontournable des Chikhat et des ensembles de l’alta qui viennent ici en pèlerinage annuel, perpétuant des traditions ancestrales et participant à une fête populaire des plus grandes au Maroc.

Le Moussem honore le Saint Moulay Abdellah venu s’installer à quelques kilomètres d’El Jadida au XIe siècle. Durant une semaine entière, ce lieu généralement peu fréquenté durant l’année, se voit le but ultime d’une population venue de la plaine de Doukkala et du Maroc entier. Une ville de tentes occupe les abords du marabout de ce Saint et une activité exceptionnelle s’installe alors pendant une semaine, donnant à ce lieu l’allure d’une ville à l’activité festive ininterrompue.

Les journées sont ponctuées de moments de fête et de recueillement. On y vient pour retrouver les membres de sa tribu, rencontrer sa famille, demander pardon pour ses péchés, faire des achats ou même vendre des produits sur des étals informels et abondants qui créent un espace de commerce improvisé. Les enfants sont choyés, les manèges tournent dans tous les sens. Juste un peu plus loin, des cavaliers omés de leurs plus belles parures se prêtent à une parade ancestrale appelée tbourida». Une course artistique de chevaux qui se termine par des tirs de Baroud et qui fait la gloire de cette région du Maroc. Le soir, à la tombée de la nuit, la parole est donnée aux Chikhat pour chanter un répertoire faisant partie de l’ADN de cette population. La fusion du public avec les Chikhat reprenant le répertoire de l’alta est un moment exceptionnel du Moussem. Des dizaines d’artistes du genre aita viennent du Maroc entier pour célébrer le Moussem Moulay Abdellah qui reste un des rendez-vous majeurs de préservation de l’aita.

Tbourida inspire l'aïta

La relation fusionnelle entre l’Aita et la Tbourida est centenaire. Cachée à fombre des autres genres musicaux, seule (Aita a su promouvoir la Tbourida. Que ce soit en fintégrant dans ses thématiques poétiques ou en étant le genre musical officiel de la Tbourida dans les moussems, les chants de l’Alta sont considérés comme les seuls à pouvoir se déployer sur fond de galops des chevaux de la Tbourida. L’Alta Hasbaouia, régnant dans la Chaouia, Doukkala et Abda, a enfanté deux chansons incontournables de [Alta consacrées à la Tbourida, à savoir Rkoub Khay! et Koubbat Ukhayl Les Caids étant des adeptes de l’Aita et des moussems, le mariage de ces demiers était évident. On dit même que la danse qui accompagne les chants de l’Alta est inspirée des pas de chevaux; les pas de danse étant une interprétation des sons de galops et des gestes des cavaliers.

L'aïta et ses territoires

La richesse de l’alta est également liée à son ancrage territorial. Chaque région a sa spécificité. Plusieurs genres sont clairement identifiés. Nous avons sélectionné les plus vivants et les plus dynamiques dans leur espace social comme Lhasbaoui. D’autres genres sont beaucoup plus discrets et le répertoire s’appauvrit de plus en plus. On y retrouve moins de femmes dans les collectifs et moins de jeunes pour prendre la relève à l’exemple de l’aita Chaidmia.

1. Aïta Mersaouia

Grande métropole marocaine, ouverte sur l’Océan Atlantique et principal pôle économique, Casablanca est devenue au fil du temps un foyer des populations paysannes en quête de travail. En effet, dans les premières années du XXe siècle, une vague d’émigration massive en provenance des campagnes marocaines a rayonné vers la périphérie de Casablanca. Ces populations se sont entassées aux abords de la ville, dans le quartier du marsa », le port.

L’appellation aita mersaouia est souvent liée à ce quartier dans lequel cette forme d’aita est née. À cette époque, la vie était difficile dans ces quartiers, le travail dégradant et mal rémunéré.

Contrairement aux campagnes où les femmes étaient actives et participaient à l’entretien des domaines aux côtés des hommes, dans les villes, elles se sont réduites au statut de mère et d’épouse. Les femmes veuves ou divorcées sont les premières victimes de ce système. Lorsqu’une femme se retrouve sans homme pour la soutenir, sa situation financière devient particulièrement compliquée surtout avec des enfants à charge. Sa situation financière s’aggrave alors d’autant plus qu’il est important pour elle de trouver un travail rapidement et si possible bien rémunéré.

Le travail de Chikhat dans les cabarets offre à ces femmes une opportunité de combiner vie familiale pendant la journée et travail de nuit. L’aita mersaouia est alors née dans ce terreau. L’ampleur de la ville permettait aux femmes de travailler loin de leur quartier, loin des regards de la famille et des enfants. Les cabarets et lieux de distraction abritaient alors toute une communauté de femmes à la recherche d’une place dans une urbanisation qui contraste avec leur campagne d’origine. La diffusion de l’alta dans cette grande ville vient aussi du choix des musiciens qui migrent vers Casablanca pour distraire les ouvriers en mal du pays.

Cette forme s’est modernisée en ajoutant des instruments comme l’Oud Elle est l’héritière urbaine de l’hasba qui a trouvé dans ces territoires un nouveau souffle, notamment à El Jadida et Settat.

2. Aïta Hasbaouia

Le mot hasbaoui renvoie clairement et simplement au territoire de Lhasba dans la région de Safi.

Ici, l’aïta s’est nourrie des sujets de société qui ont préoccupé les tribus en proie à l’injustice, entre moments de plaisir et exercices de force et de répression qui ont aussi influencé ce style artistique qui reflète la vie de ces tribus. Le Hasbaoui renvoie plus globalement à la Région de Abda, territoire agricole riche et donc propice à la vie et à l’épanouissement. Ici, de grandes fêtes et Moussems ont permis à l’aita de s’exprimer, d’où la richesse du genre Hasbaoui. L’épanouissement de l’aïta hasbaouia vient aussi du soin et de l’intérêt particulier que le Caid Si Hmad lui a porté vers les années 1925, date à laquelle il a pris le relais de son père connu pour son austérité. Son père, Caid Aissa Ben Omar, était d’ailleurs un des persécuteurs de la mythique Chikha Karboucha» qui lui a tenu tête et qui est l’une des icônes de l’ aita hasbaouia. Elle a consacré ses paroles et ses rythmes à défendre sa tribu contre le despotisme de Caid Aissa Ben Omar. L’aita lui doit un héritage d’une grande valeur.

3. Aïta Jeblia

Répandue dans la région du Nord s’étendant de Tanger vers Tétouan, Chefchaouen, Larrache, Ksar Lekbir et Taounate, l’Aita Jeblia a connu sa gloire avec des chioukhs comme Ahmed Lgerfti, Mohamed Laaroussi, Britel et Lkhmissi.

L’Aita Jeblia se caractérise par une manipulation des mots avec beaucoup de poésie. Les thèmes renvoient majoritairement à la nature et sa beauté et à la vie dans les montagnes. Il n’en reste pas moins que beaucoup de chansons ont un caractère nationaliste défendant le pays contre l’occupant. La thématique spirituelle ne manque pas dans le répertoire Jebli et renvoie majoritairement au Saint protecteur de cette région, Moulay Abdessalam M’chiche. Ici aussi, l’aïta rend hommage et honore ses saints comme partout ailleurs dans les autres terroirs du Maroc. Aujourd’hui, L’Aita Jeblia compte encore des héritiers qui lui permettent de garder son ampleur et dont nous pouvons citer Chikha Chama Zaz, Chikh Hajji Srifi et le fils héritier de Ahmed Lgerfti.

4. Aïta Zaâria

Le nom Aita Zaâria renvoie à la région de Rabat-Salé-Zemmour- Zaer et s’étend jusqu’à Beni Mellal et Khouribga. Ici, l’aita se décline d’une manière très riche. Elle s’appelle aita Ouardigh du côté de Rabat, aita Mellalia du côté de Beni Mellal et khouribguia du côté de khouribga. Elles sont toutes aussi riches les unes que les autres.

Cette forme de aita est en relation directe avec l’agriculture. Ainsi, pour fêter la fin de la saison agricole, des Moussems sont organisés où, pour l’occasion, le chant des chikhates vibre sur la musique de l’Aita Zaária.

L’Aita Zaåria est connue pour utiliser le violon, taarija (tambourin). Ibendir, Oud (Luth), Derbouka, Outar… L’Aita Zaâria se caractérise par une technicité précise (temps) qui en fait un champ de performance pour les chikhates qui rivalisent les unes après les autres pour démontrer leur maîtrise, sans jamais perdre le sens du glamour et le plaisir du chant. Parmi les figures majeures qui ont permis à cette aita de compter parmi les plus importantes, nous pouvons citer Chikha Kharbouâa, Chikha Zahra et Chikh Mohamed Labuak.

5. Aita Chaïdmia

Répandu dans la région de Chiadma, un peu plus au sud de Safi vers l’arrière d’Essaouira, ce genre de alta est aujourd’hui celui qui semble avoir subi le moins de transformations. Peu connu, voire reconnu parmi les autres types de alta, il présente une forme plus brute. Les instruments utilisés, très basiques, comptent un Megroune, sorte de double-flüte en bois montée sur une forme de core entièrement faite main que seul son joueur sait régler. Ce type de alta semble à l’image de la dureté de la vie quelle décrit dans cette plaine à la nature réputée rude et peu généreuse. Pourtant, c’est bien cette même nature qui est chantée par ces troubadours témoins d’une autre époque et qui continuent, on ne sait pour combien de temps encore, à apporter joie et bonheur autour d’eux. La voix puissante du chanteur de l’aita Chaldmia s’élève pour dépasser celle de son instrument Megroune». Le groupe Berkhiss est aujourd’hui un des derniers héritiers de cette version de alta que l’on peut qualifier comme la plus proche de son origine paysanne.

6. Aita Haouzia

L’Alta Haouzia couvre la région de Marrakech, Kalaat Sraghna, Rhamna, Ben Guerir. Elle a la particularité d’être chantée majoritairement par des voix masculines. Les Chioukhs (pluriel masculin de Chikha) se prêtent aussi à des danses. L’Aita Haouzia se caractérise aussi par son rythme accéléré, sa composition simple. Avant l’introduction du violon, l’Aita Haouzia utilisait uniquement le tambourin et le « loutar ». La voix y est dominante et les paroles s’écoutent attentivement. Comme les autres aita à travers le Maroc. elle a souvent porté une mission nationale en traitant de sujets historiques et à caractère militant pour le pays.

7. Aita Filalia (Beldi)

Avec Alta Filalia (beldi), nous sommes typiquement devant un cas d’école qui renseigne sur la déclinaison de genre de falta sur les territoires du Maroc. Couvrant la région de Tafilalet, cette aita est intrinsèquement liée à la personne du Chikh Mohamed Baout qui, faisant le choix d’exceller dans Tart de raita, a migré vers Casablanca et Safi pour s’inspirer des grands maltres de rAita Mersaouia. Il a côtoyé les artistes se produisant devant Caid Issa Ben Omar et avait pour maltre Bouchaib Lbidaoul. De retour à Errachidia, il combine ces genres maîtrisés ailleurs à la musique de sa région comme Lmalhoune et Jerfi. Il en est sorti le genre de Alta Filalia (Beldi).

Son repertoire compte des chansons comme Moulate LKhala», Selem Ala Lberad Li Sawbouh LBnate ou Sakhi Bia. La tradition de l’Aita Filalia tire ainsi son originalité de ce parcours atypique de son maltre qui y a aussi introduit des instruments comme raccordéon et la mandoline qui n’en font plus partie depuis. Il faut noter que ce genre de alta porte TADN sahraoui propre au terroir filali. Elle est en cela unique et particulière Engagé jusqu’au bout dans son art, Mohamed Baout décède à Meknès alors qu’il se prépare à monter sur les planches du cinéma ABC où son public l’attend….

Aujourd’hui, l’Aita Filalia reste un patrimoine de grande valeur que la région d’Errachidia affectionne particulièrement. Comme les autres formes de l’aita, le Beldi souffre d’un manque de relais et de transmission. De nos jours, seul Chikh Moulay Cherif Lhemri un disciple fidèle et passionné de T’héritage de Mohamed Baout. Il continue de perpétuer cette tradition sans pour autant être un fervent adorateur des scènes et des grandes rencontres, ce qui ne permet pas à cette alta de prendre la place qu’elle merite et d’aller à la rencontre de son public.